En 2014, Rosnida Sari, une chargée de cours à l’université Ar-Raniry State Islamic University à Banda Aceh, en Indonésie, emmenait un groupe d’élèves faire une visite volontaire d’une église protestante afin de mieux comprendre le concept de genre, tel qu’il est perçu dans la foi chrétienne, et afin de promouvoir l’harmonie interreligieuse. Puis, un reportage sur la visite a été publié par un organe de presse australien et a créé le buzz sur les médias sociaux. Rosnida a été accusée d’essayer de convertir ses étudiants au christianisme. Elle a reçu des centaines de menaces de mort et a été suspendue de ses fonctions d’enseignante.
La province musulmane d’Aceh est la seule province en Indonésie où le gouvernement applique totalement le droit de la charia. Le rejet des méthodes d’enseignement de Rosnida y était donc massif. Outre les réactions conservatrices des membres de la communauté, les autorités l’ont accusée d’enfreindre la loi et l’ont forcée à s’excuser pour son insensibilité culturelle et religieuse.
« Ma ville natale est très stricte avec la loi islamique. Mais mes étudiants voulaient venir à l’église, ils voulaient en apprendre plus sur le genre et comment cela est enseigné dans la Bible, mais les gens ne voulaient pas en entendre parler. Tout ce qu’ils ont vu c’étaient les gros titres, et je n’ai pas pu enseigner pendant trois ans à cause de cela. J’ai donc dû trouver ma propre stratégie, ma propre façon d’enseigner les droits humains. Je n’enseigne plus le genre, mon cours est enseigné par quelqu’un d’autre – je peux seulement enseigner la recherche et la géographie ».
Même quand elle a commencé à enseigner, le programme de formation de Rosnida sur les droits humains était limité. Sans pouvoir faire aucune mention des droits humains dans ses cours, elle devait utiliser des termes comme « plaidoyer » ou « égalité ». Dans le cadre du Département du Développement communautaire, sa faculté est la seule dans l’Université à proposer des cours sur les théories du genre.
« Le terme genre est très sensible. Ils ne veulent pas parler de genre, ou même de droits humains. Peu de gens connaissent les droits humains parce que la plupart d’entre eux croient que cela vient des sociétés occidentales, et que cela ne peut être adopté par le peuple [d’Indonésie]. Nous ne pouvons pas clairement discuter des droits humains, donc nous devons trouver nos propres moyens pour en parler ».
Les discriminations dans la province d’Aceh sont profondes – pas seulement contre les non-musulmans mais aussi contre les gens de différentes ethnicités ou d’autres orientations sexuelles. Par exemple, en 2012, Rosnida se rappelle d’une décision gouvernementale de fermer les églises dans sa ville natale, sous prétexte que la construction des églises était illégale. Elle explique aussi que, malgré l’application rigoureuse de la Charia, les femmes d’origine chinoise ne sont pas obligées de porter un hijab parce que l’on doute de leur foi musulmane. Il y a également des campagnes institutionnelles contre les membres de la communauté LGBTQI, particulièrement des personnes trans, pour essayer de dissuader les citoyens de leur louer des appartements ou des espaces commerciaux afin de les expulser de la province.
Cependant, rien de cela n’a empêché Rosnida de continuer à enseigner les droits humains. En travaillant avec des organisations en dehors de son université, elle donne des leçons et des séminaires sur les problématiques multiconfessionnelles et sur les mouvements des femmes, souvent à des jeunes musulmans, chrétiens et bouddhistes. Alors qu’elle est heureuse d’avoir une tribune pour promouvoir l’harmonie, sa situation vis-à-vis de l’Université l’empêche de co-signer des publications, de faire de la recherche et même d’être membre du conseil des organisations avec lesquelles elle travaille depuis de nombreuses années.
« Je ne peux pas m’opposer, mais ce que je peux faire c’est partager mon savoir aux étudiants. Mon Université est très fermée, seuls les musulmans peuvent l’intégrer, donc ils ne savent rien des sociétés chrétiennes, du bouddhisme, de l’hindouisme, et ils n’ont aucune autre interprétation du Coran. C’est donc mon devoir d’ouvrir leurs esprits ».
Sa passion pour ce qu’elle enseigne est ce qu’il l’a amenée cette année au Programme international de formation aux droits humains (PIFDH). Même si elle a déjà contribué à la promotion de la paix, à l’autonomisation des femmes et à l’harmonie interreligieuse depuis des années, elle ne comprenait pas pleinement les droits humains avant de participer au Programme.
« Je suis tellement contente d’avoir un peu de matériel de formation que je peux utiliser dans mes cours. Je ne connaissais pas les droits humains avant de participer au PIFDH, mais je voulais être impliquée, je voulais en savoir plus sur ce que sont les droits humains et les instruments des Nations Unies. Dans ma ville natale, comme je suis impliquée dans l’activisme, certains amis me demandent de lire leurs documents administratifs, d’écrire des rapports pour l’Examen périodique universel. Je ne connaissais pas les bases pour faire cela, quel était mon rôle, et maintenant j’en ai un meilleur aperçu ».
Défendre les droits humains est rarement une tâche facile, et des histoires comme celle de Rosnida rappellent amèrement le danger que constitue la promotion de la paix. C’est pour cela que cette année, elle a été choisie comme récipiendaire de la bourse du PIFDH de la Fondation de la famille Brian Bronfman, une distinction créée en l’honneur de Brian Bronfman, un homme qui dédie sa vie à la promotion de la paix et de la médiation. Cette bourse a été conçue tout particulièrement pour les participantes et participants qui promeuvent la paix à travers l’éducation aux droits humains. En accord avec les valeurs de la Fondation de la famille Brian Bronfman telles que le progrès interculturel, la résolution de conflits et l’harmonie sociale, le travail de Rosnida s’est démarqué par son utilisation de moyens innovants pour promouvoir la paix, la non-violence et la diversité, ainsi que par son influence significative sur sa communauté. Grâce au soutien de la fondation, des participantes et participants du monde entier continuent d’avoir la chance d’œuvrer à un avenir plus pacifique par l’éducation aux droits humains.
Par Elyette Levy, stagiaire en communications à Equitas